La route de Cracovie à Vilnius était longue, je suis arrivé en début de soirée mardi dans la capitale de la Lituanie. Les autoroutes neuves de la Pologne permettent cependant une traversée facile du pays. Le passage de Suwalki en plein travaux est un peu chaotique. Je me suis installé tranquillement dans l'appartement que j'ai retenu à proximité du centre de Vilnius.
Hier matin je suis parti à pied arpenter la ville. Je me suis vite retrouvé rue Pilies pour rejoindre la place de la cathédrale. C'est ce même chemin que j'avais suivi en premier l'an dernier. Retourner sur les traces d'un précédent voyage pose sans cesse la question de l'équilibre à construire entre revisiter les lieux déjà vus avec un regard différent, un point de vue à réfléchir autrement, et trouver de nouveaux parcours. J'ai décidé alors de suivre un nouvel itinéraire en grimpant la colline du parc Kalny qui est surmontée de trois croix blanches quelconques. La vue sur la ville y est moins intéressante que le souvenir que je garde de celle qu'on peut admirer depuis la Tour de Gediminas.
Au pied de ces croix, je me suis fait aborder par un jeune homme qui voulait que je le photographie avec le panorama en arrière plan de sa personne. Nous avons engagé la conversion et il s'est présenté comme américain originaire de Detroit et séminariste catholique en mission en Lituanie. Pendant un moment nous avons bavardé de la situation en Europe et du nouveau visage de l'Amérique de Trump dont il juge la politique un peu extrémiste mais plutôt bonne pour son pays. Il m'a soudainement invité à prier avec lui, ce que j'ai gentiment refusé. Il s'est assombri me faisant part de son incompréhension, voire de son désarroi.
Je suis ensuite redescendu vers le quartier Uzupis où se trouve une République des artistes que j'ai rejoint après avoir marché sur un petit sentier en sous-bois le long de la rivière Vilnia. J'avais la caméra avec moi et j'ai alors filmé quelques scènes de rue pour ensuite revenir dans la vieille ville.
J'ai pris le temps d'entrer dans la librairie française qui jouxte l'Institut Français. J'ai pu bavarder un moment avec le libraire d'une cinquantaine d'années, s'exprimant dans un très bon français. Sa librairie, unique en son genre dans les Pays Baltes, comprend nombre d'ouvrages traduits en français d'auteurs baltes mais aussi, pour la clientèle locale, de beaux livres français. Sur ses conseils je suis reparti avec deux romans lituaniens de Youozas Baltouchis et Ruta Sepetis et avec un roman estonien de Jaan Kross.
Dans l'après-midi, repassant par là, j'ai aussi poussé la porte d'une épicerie fine tout à côté et proposant des produits français. Nous avons discuté un moment avec le patron français qui vit depuis vingt ans en Lituanie. Il préfère à Vilnius qu'il trouve très slave la région germanique de Klaipėda et l'isthme de Courlande. Sa clientèle est la population aisée de la capitale lituanienne dont il m'a expliqué qu'elle était partie chercher le soleil en Espagne et se désolant donc d'une activité ralentie. Concernant la guerre en Ukraine et la menace russe, il m'a fait comprendre que c'est un sujet dont on ne lui parle pas.
L'an dernier j'avais beaucoup apprécié l'exposition du musée d'art moderne MO. J'y suis retourné pour découvrir une collection de tableaux qu'une nouvelle fois j'ai beaucoup aimés. La thématique de cette année est liée à l'approche jungienne de la psychologie. Les toiles sont regroupées selon les archétypes de Jung, qu'elles en traduisent un état ou bien soient au service d'une thérapeutique. J'ai gardé une certaine distance avec les abondantes explications présentées pour chaque œuvre, pour retenir plutôt la force évocatrice et l'originalité de cette peinture balte.
J'avais prévu de retourner au musée du Palais des Grands-Ducs de Lituanie pour en suivre l'admirable parcours historique. C'est ce que j'ai fait tranquillement ce matin en essayant de lire autant que possible les cartels très documentés en anglais. Cela permet de prendre la mesure de la place de la Lituanie dans l'histoire européenne à partir du XIVe siècle. Le Grand-Duché s'est étendu jusqu'à la Mer Noire et son territoire était alors plus grand que celui du Royaume de France. Deux siècles d'association avec la Pologne, parfois chaotique mais conduisant à la création de la République des Deux Nations en 1569, ont contribué à l'implantation du catholicisme dans le pays et à un rayonnement sur une bonne partie de l'Europe. Au XIXe siècle l'intégration à l'Empire russe a marqué le début d'heures sombres dans l'histoire de la Lituanie, caractérisées par la répression, des destructions et une politique forcée de russification. Le vingtième siècle a été marqué par une période d'indépendance entre les deux guerres avec Kaunas comme capitale, la région de Vilnius étant alors rattachée à la Pologne, puis par l'intégration du pays à l'URSS avant la libération de 1991 et l'avènement d'une nouvelle république indépendante.
La visite commence par une partie particulièrement intéressante qui place le visiteur au niveau d'importants vestiges mis au jour par les fouilles menées à partir des années 80. On peut ainsi voir en vrai des traces et des restes du Palais (murailles, fondations, dispositifs défensifs) alors que celui-ci avait été entièrement rasé par les russes. Le projet de reconstruction a démarré dès l'indépendance de 1991 avec une inauguration symbolique en 2009 et des travaux qui se sont poursuivis jusqu'en 2018. De nombreuses photographies rendent compte des recherches archéologiques et de l'entreprise de reconstruction menées ces dernières décennies. Ainsi, aujourd'hui, le nouveau Palais des Souverains recèle ce très beau musée.
Après avoir pris un bon repas dans le joli petit restaurant du Palais j'ai voulu aller marcher sur l'autre rive de la Neris. C'est là que se développe la ville moderne avec de nouveaux bâtiments et des tours faites de béton, d'acier et de verre, comme on peut en voir dans d'autres métropoles. En me promenant je suis aussi tombé sur quelques terrains vagues et surtout d'anciennes maisons traditionnelles en bois abandonnées et sûrement vouées à disparaître.
Au long de mes promenades, j'ai photographié quelques façades et les monuments consacrés à deux personnalités. La première est Frank Zappa pour lequel un mémorial a été créé à l'initiative d'un collectif de fans pour symboliser la liberté retrouvée après la libération du joug soviétique. La seconde est Vincas Kudirka, poète et médecin lituanien de la fin du XIXe siècle, auteur des paroles de l'hymne national lituanien et héros national.
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