J'avais gardé un très bon souvenir de mon passage à Käsmu l'an dernier en particulier à l'occasion d'une visite tout à fait privilégiée du Musée de la marine au cours de laquelle j'avais longuement parlé avec la dame qui m'avait servi de guide. J'ai voulu faire le détour sur la route de Narva à Tallinn pour m'y arrêter de nouveau.
Alors que j'avais découvert ce lieu seul, il y avait bien du monde mardi dernier. Non seulement plusieurs touristes faisaient aussi étape ici mais un spectacle, attesté par un chapiteau en cours d'installation, se préparait dans le terrain qui sépare le musée de la mer. Du monde s'affairait et j'ai alors revu la dame. Elle nettoyait des ustensiles de cuisine sous une guérite qui servirait pour le ravitaillement. Elle ne m'a pas vu, je ne me suis pas signalé à elle. Je suis reparti.
En périphérie de Tallinn, j'arrivais en fin d'après-midi dans l'hôtel fully automatic que j'avais réservé. Malgré l'absence de la moindre présence humaine, j'ai été plutôt agréablement surpris de découvrir une chambre assez grande, avec kitchenette et vraie salle de bain. J'ai déballé mes affaires puis je suis parti à pied au centre de la ville que j'ai atteint par le sud alors que l'an dernier j'étais basé au nord dans le quartier de Kopli. Ça m'a plu d'aborder la ville par un autre bout et de déboucher directement sur la Place de la Liberté qui affichait toujours son immense double drapeau ukrainien et estonien, juste en contrebas de Toompea, la colline du vieux Tallinn sur laquelle je suis ensuite monté.
J'ai ainsi pu faire un premier tour très touristique sous une belle lumière, les foules s'étant éparpillées ailleurs à cette heure-ci. Très vite je me retrouvais sous la cathédrale orthodoxe Alexandre Nevski, devant le parlement estonien, puis à parcourir les rues de ce tout petit quartier avant de redescendre et de rejoindre la place de l'hôtel de ville, puis de marcher encore un peu dans le centre en constatant que les affichages de protestation étaient toujours aussi nombreux le long de l'ambassade de Russie.
La journée d'hier a été très arrosée avec des températures qui sont restées fraîches (14° au mieux). J'ai commencé la matinée par la visite d'un musée discret en pleine ville, consacré au peintre estonien Adamson-Eric (1902-1968). Artiste complet ayant aussi travaillé la céramique, les arts appliqués de façon générale et le design, il a été pleinement reconnu de son vivant.
Adamson-Eric a connu grâces et disgrâces du régime soviétique mais a réussi à mener sa carrière en Estonie. Il s'est formé en Allemagne et à Paris et a voyagé dans toute l'Europe durant les années 20 et 30. Sa peinture est colorée, chaude et vivante.
À la suite de cette jolie découverte, j'ai marché en direction de Patarei, une forteresse en bord de mer qui a servi de prison, a traversé les époques et reste de sinistre mémoire. Je n'ai pas pu, comme l'an dernier, visiter le musée créé en 2019. Il est en cours de transformation et donc fermé. J'ai simplement profité de cette marche dans Tallinn pour observer le mer toute grise et des bâtiments pris sous le ciel bas.
Sur mon chemin se trouvait le quartier Rotermann dont les anciens bâtiments industriels ont été rénovés et convertis en magasins, bureaux et cafés.
Je gardais un vif souvenir du Kumu, le musée d'art de Tallinn (Kunstimuuseum) qui se situe à Kadriorg, à l'est de la ville. J'ai pris le bus pour m'y rendre, protégé de la pluie. De nouveau j'ai été séduit par l'architecture du bâtiment vue de l'intérieur, faite de courbes grisées, d'aspérités en béton et de jeux de lumière. J'ai de nouveau pris quelques photos dans le hall et les coursives avant de visiter les différents niveaux de ce musée.
Les collections permanentes présentées au Kumu sont prolifiques et remarquables. J'ai revu certains tableaux avec plaisir, en ai découvert de nombreux autres. Je reste admiratif de la qualité des œuvres et touché par nombre d'entre elles, jusqu'à la production officielle des années communistes. J'ajoute que les tableaux sont parfaitement exposés selon des parcours bien conçus.
J'ai également bien profité de l'exposition temporaire tout à fait épatante consacrée aux sœurs Mei : Kristine (1895-1969), Lydia (1896-1965) et Natalie (1900-1975). Elles étaient les filles d'un marin de l'île d'Hiiumaa où je pars demain. Ces artistes ont joué un rôle important dans la création artistique estonienne et ont réussi à se faire reconnaître. Elles ont utilisé des techniques variées et originales. Chacune dans son style, leurs œuvres ne manquent ni d'humour ni d'ironie.
J'ai fini la journée hier par une virée sur la plage de Pirita, très renommée ici mais que la météo rendait impropre à la baignade.
Ce matin, la pluie tombait encore drue. Alors j'ai commencé ma journée par rejoindre le Musée des occupations et de la liberté (Vabamu) qui m'avait fait une forte impression l'an dernier. Ce musée se donne pour mission d'éduquer à la liberté en en montrant la fragilité, de défendre la justice et l'État de droit.
La visite se fait accompagnée par un audioguide (en français) qui est vraiment nécessaire car non seulement le commentaire, parfois un peu long, donne des éléments d'information essentiels mais il pose les questions importantes que les Estoniens ont dû affronter durant ce siècle d'une histoire compliquée et souvent tragique. La question centrale qui revient souvent est celle des choix individuels que chacun devait faire pour continuer à vivre dans ces moments d'absence de liberté et de répression. Le parcours se partage en cinq périodes : l'Inhumanité, l'Exil, l'Estonie soviétique, la Liberté et le Rétablissement.
Les périodes de l'Inhumanité et de l'Exil sont très émouvantes car elles rendent compte, à travers des témoignages personnels, des souffrances endurées par les Estoniens du fait des régimes nazi et stalinien.
L'Estonie soviétique est une longue période de 50 ans avec des évolutions au cours du temps. Se posaient alors la question de la différence entre l'adaptation et la collaboration ou bien celle du rapport entre la liberté et l'égalité. La restriction de la première pouvait-elle être bénéfique à la seconde comme semblait vouloir le justifier le régime ?
Les périodes de la Liberté et du Rétablissement commencent avec l'Indépendance de 1991. Elles sont caractérisées par la liberté d'expression, celle d'entreprendre et celle de voyager ainsi que par la création de nouvelles opportunités pour chacun. Cependant d'autres questions sont aujourd'hui posées à la société, sur les langues, l'exercice de la citoyenneté ou l'accroissement des inégalités.
Ce musée est un formidable outil au service de la citoyenneté pour le peuple estonien, sa jeunesse en particulier. Celle-ci m'est apparue très présente à Tallinn. J'ai passé un moment hier dans le bus à observer une jeune fille occupée à manipuler son téléphone portable. J'étais à la fois étonné et admiratif de la voir actionner alternativement mais concomitamment un outil d'intelligence artificielle, un réseau social et un site web, dans trois langues différentes parfaitement maîtrisées, à en croire la dextérité dont faisait preuve cette jeune fille, que sont l'anglais, le russe et l'estonien.
Mon séjour à Tallinn se termine avec ces trois paisibles images de la plage de Pirita. Demain soir j'aurai pris pied sur l'île de Hiiumaa.
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