
Le premier endroit où je me suis rendu samedi matin à Riga est ce petit marché très convivial du quartier Kalnciema qui se tient de l'autre côté de la Daugava, donc en dehors du centre de la ville et de ses attraits les plus touristiques.
Sous un beau soleil matinal, qui malheureusement n'a pas duré, j'ai déambulé un moment entre les stands très colorés et parfois odorants. Les gens étaient venus acheter des couronnes de fleurs en prévision de la fête du solstice d'été, de la bonne nourriture bio, des vêtements ou des accessoires de mode. J'ai pu goûter du vin de coing et surtout apprécier une excellente soupe aux légumes et à la viande, assez épicée, qu'une dame m'a gentiment offert. En prime un orchestre de cuivres presque exclusivement féminin s'est produit durant un bon moment avant de céder la place à un groupe de chanteuses en costumes traditionnels. Celles-ci ont fait venir un jeune couple sur la scène pour procéder méthodiquement, et avec humour à en croire les rires de l'assistance, à l'habillement du garçon puis de la fille en équipage de mariage, si j'ai correctement compris la situation. J'ai profité de ce moment pour filmer mais j'ai aussi tâché de prendre quelques photos.
À Tallinn j'ai fait une visite très intéressante du Musée des occupations et de la liberté dont j'ai rendu compte il y a quelques jours. Ici à Riga je me suis rendu au Musée de l'occupation de la Lettonie. Dans les deux cas il s'agit de raconter et de conserver la mémoire d'une histoire partagée qui a duré un demi-siècle et durant laquelle les deux pays ont été occupés par les Soviétiques de 1939 à 1941, par l'Allemagne nazie de 1941 à 1944 puis de nouveau jusqu'en 1991 par l'URSS.
Je trouve intéressant de comparer les deux intitulés de ces musées, en particulier de noter que si le pluriel est utilisé en Estonie pour aboutir à la question fondamentale de la liberté et des difficultés de son exercice, l'approche en Lettonie est plutôt de considérer qu'il s'agit d'une seule nature d'occupation, comme le résultat d'une conspiration entre l'Union soviétique et l'Allemagne nazie. Cette conjuration s'est matérialisée par le partage de l'Europe de l'est et du nord consenti entre les deux puissances lors du pacte Ribbentrop-Molotov signé en août 1939. On voit d'ailleurs au cours de la visite une reproduction de la carte de la Pologne séparée en deux parties avec les signatures de Ribbentrop et de Staline.
Le musée présente cette histoire à la fois sous les aspects de l'oppression, de la terreur et de la violence mais aussi en mettant en avant les capacités de résistance, la force spirituelle et l'héroïsme du peuple letton qui a réussi à recréer et à renouveler son État.
Symboliquement une partie du parcours baigne dans une lumière rouge pour raconter les heures terribles vécues sur le sol letton alors que tout ce qui concerne les déportations est éclairé en bleu. La première déportation de masse vers les régions éloignées de l'Union soviétique a eu lieu dès le 14 juin 1941 et a concerné plus de 15 000 Lettons. En mars 1949 ce sont 42 000 personnes, dont une majorité d'agriculteurs avec leurs familles, qui ont été envoyées au Goulag. Les Nazis ont assassiné 70 000 juifs, les trois-quarts de la population juive de l'époque, entre 1941 et 1944.
Les ressorts de l'endoctrinement et des contraintes quotidiennes sont précisément documentés, la politique de russification est expliquée aussi bien dans les secteurs de la production économique avec l'afflux en masse d'immigrants russophones et dans le monde de l'éducation en privilégiant les écoles de langue russe. Dans les grandes villes, la proportion de la population d'origine lettonne tombe parfois en dessous de 50%.
Si la mort de Staline a représenté un tournant avec la fin d'une certaine terreur, on montre que finalement rien n'a fondamentalement changé jusqu'à la fin des années 80, en particulier sous la férule de la Cheka au début ou du KGB à la fin. J'ai été frappé ici aussi par cette permanence d'un discours russe qui tend à construire le mythe d'une lutte permanente et indispensable contre un fascisme qui serait partout menaçant, hier mais aussi aujourd'hui dans la rhétorique même de Poutine.
Une place importante est faite à la résistance, celle des partisans cachés dans les forêts durant les premières années de l'occupation soviétique, celle de la diaspora dispersée dans le monde et celle de la population elle-même, jusqu'à la Voie balte, cette chaîne humaine qui a relié 2 millions de personnes en août 1989 de Tallinn à Vilnius en passant par Riga.
Durant ces deux jours j'ai beaucoup marché, sans parcours vraiment défini mais avec quelques lieux emblématiques de Riga. J'ai fait la visite de la Maison des Têtes Noires, construite au XIVe siècle par la confrérie de marchands dont le saint patron était le Nubien Maurice. Elle a été détruite en 1941par un bombardement allemand et reconstruite en 1999 pour devenir la résidence officielle de la présidence de la république de Lettonie.
J'ai fait un passage vers les maisons dites des Trois Frères, considérées comme les plus anciennes de Riga et bâties entre le XVe et le XVIIe siècle. Elles sont caractéristiques des constructions hanséatiques de la région de la Baltique.
Le Monument de la Liberté, surnommé Milda et perché au sommet d'un haut pilier, est comme un phare incontournable dans la ville. Érigé en 1935 il honore les soldats morts entre 1918 et 1920 lors de la guerre de l'indépendance lettone remportée contre la Russie communiste. De 1944 à 1991, alors que la Lettonie est une république soviétique, les autorités interdisent d'y déposer des fleurs sous peine de déportation en Sibérie mais n'osent pas démolir le monument. On préfère édifier une grande statue de Lénine qui lui tourne le dos.
Durant la période de l'Empire russe, à la fin du XIXe siècle a été construite la grande Cathédrale de la Nativité en bordure du parc de l'Esplanade situé à 250 mètres du Monument de la Liberté. Elle a été fermée et transformée en planétarium en 1961 avant d'être rendue au culte orthodoxe en 1991.
Je suis retourné rue Alberta pour revoir les immeubles Art nouveau qui la jalonnent. Ce fut l'occasion de bavarder un moment avec un groupe de vieux anglais bien sympathiques. Plus tard dans les rues proches et parallèles à la grande rue Krišjāņa Barona où je loge, j'ai découvert encore plusieurs constructions du même style.
Hier dimanche, alors que le temps était menaçant avec des nuages bas et des rafales de vent, je me suis rendu au grand marché central de Riga qui est installé derrière la gare, dans d'anciens et vastes hangars de ballons dirigeables qui ont été achetés et réinstallés ici dans les années 20.
La foule se pressait pour faire ses achats, essentiellement alimentaires. J'ai trouvé les prix des fruits et légumes assez élevés, le plus souvent importés de Pologne, d'Espagne et de Grèce.
Enfin j'ai pris le bus pour m'éloigner de 7 kilomètres et découvrir le Musée de l'automobile de Riga (Rīgas Motormuzejs) dont j'avais lu de bonnes critiques. Ce musée a été ouvert en 1989 dans un bâtiment moderne construit pour l'occasion. Non seulement il expose des voitures mais il se place dans une perspective historique qui commence avec l'invention de la roue, parfaitement illustrée et animée. Il permet de voir un ensemble de véhicules qui pour moi était tout à fait inédits, d'une part les grosses voitures américaines ou allemandes de la première moitié du XXe siècle et d'autre part des berlines russes, souvent non moins monumentales, de l'ère soviétique.
La voiture participe du décor de nos vies et des références visuelles dont nous devenons coutumiers. J'ai trouvé tout à fait intéressant de découvrir, parfaitement exposés et mis en valeur, ces artefacts mécaniques d'autres cultures et d'époques aujourd'hui révolues.
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